Ce choix d’une discussion parlementaire à minima et contrainte témoigne aussi d’une crainte du gouvernement de ses propres députés et du nécessaire débat démocratique autour d’une loi aussi particulière.
Le droit n’est pas l’ennemi de la sécurité
Pour rappel, depuis 2015, la France vit quasi en continu dans un état d’urgence qu’il soit sécuritaire ou sanitaire, et de nombreuses dispositions qui ne devaient être que temporaires ont depuis été inscrites définitivement dans le droit national.
Si nous écrivons ce texte, c’est que nous estimons que l’impact sur les libertés fondamentales a été complètement éludé par le pouvoir en place et qu’il est nécessaire que nous soyons tous vigilants pour protéger les droits et libertés : liberté d’information, liberté de manifester, droit à l’accès et de rectification des données personnelles, droit de regard sur l’utilisation de nos données privées personnelles… Et on sait que la vie privée des LGBT+ est encore trop souvent bafouée, ce qui cause de graves problèmes au quotidien pour certains. La Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) vient aussi de le dire : « Le besoin de sécurité n’appelle pas nécessairement à une restriction des libertés ».
L’« état d’urgence sanitaire » permet à présent au gouvernement LREM d’imposer des mesures par décret, comme des restrictions de la libre circulation des habitant·e·s (fermetures de lieux publics et d’entreprises, couvre-feu, confinement…), y compris avec une succession de décisions contradictoires (cf. port de masques) et de revirements étonnants.
Mais nombreuses sont les décisions qui ont déjà été attaquées en justice : le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, deux des plus hautes instances en France, trop longtemps silencieuses, ont jugé illégales plusieurs de ces mesures. Par exemple l’obligation globale d’obtenir une autorisation pour manifester et certaines collectes de données personnelles. L’improvisation ou l’amateurisme (revendiqué en 2019 par Macron lui-même devant ses députés) ont bon dos… Ce n’est pas un hasard, de la droite à l’extrême droite, les partis applaudissent à cette loi (avec même des surenchères sur certains points).
Loi « Sécurité globale » : un gros virage droitier, pas une réponse valable
Le dernier projet pseudo-sécuritaire « Sécurité globale », en discussion à l’Assemblée, comporte de nombreux éléments très inquiétants. Notamment l’interdiction de filmer les forces de l’ordre, la pénalisation des occupations de lycées ou universités, drones et reconnaissance faciale généralisés dans les rues et risques de graves atteintes contre la liberté de la presse et d’expression.
Les lois en vigueur permettent déjà de sanctionner les menaces, atteintes à la vie privée ou harcèlement numérique envers les forces de l’ordre ! Prétendre devoir y ajouter ex abrupto un très vague de « but » d’attenter à leur « intégrité physique ou psychique » est la porte ouverte à X menaces ou dérives pour tout manifestant, protestataire ou journaliste de terrain.
L’énumération des « bavures » prouvées notamment par des vidéos, amateurs ou professionnelles, à contrario des paroles de forces de l’ordre mises en cause, ces dernières années, est édifiante. La tragique « affaire Benalla » ne serait jamais sortie sans une vidéo amateur, filmant précisément celui qu’on croyait être un policier en action. Risquer un an de prison ferme et 45 000 € d’amende fera bien entendu reculer tout le monde.
Des prises de positions claires pour dénoncer la proposition de loi
Le député LREM Jean-Michel Fauvergue, rapporteur du texte, ancien policier, chef du RAID, ne cache même pas ses intentions réelles : il faudrait selon lui « reprendre le pouvoir dans la guerre des images »… Une surveillance de masse généralisée et sans contre-pouvoir sur le terrain : un cauchemar antidémocratique que rien ne peut justifier. Une société démocratique a besoin de médias d’investigation exerçant sans crainte. Il faut pouvoir dénoncer les agissements graves et hors la loi, parfois contre des LGBTI+.
La Défenseure des Droits en tout cas, estime clairement que les images des actions policières sont « nécessaires au fonctionnement démocratique ». La Quadrature du Net est sur les mêmes positions, très inquiète sur les restrictions de libertés et l’usage accru des technologies de surveillance tous azimuts. Même le procureur François Molins, qu’on peut difficilement juger hostile aux forces de l’ordre ou à la justice, a récemment affirmé publiquement, devant les parlementaires français, que la captation et la diffusion publique de telles images permettent aussi de clarifier des faits mis en doute et de résoudre des enquêtes !
L’Observatoire des libertés et du numérique – dont la Ligue des droits de l’Homme, le Syndicat des Avocats de France, ou l’ACAT sont membres – s’est aussi élevé contre ce texte et cite plusieurs de ses articles comme attentatoires aux droits et libertés.
De nombreuses sociétés de journalistes et groupes de presse se sont déjà mobilisés contre l’article 24 de cette loi menaçant l’information libre. Nous rappelons que, rien qu’en 2019 – 2020 le Conseil de l’Europe pour la protection et la sécurité des journalistes a révélé 19 alertes en France. La protection des sources des journalistes doit rester sanctuarisée afin de permettre un journalisme d’investigation qui n’a pas peur d’investiguer et de révéler ce qui sera nécessaire, quel que soit le pouvoir en place.
À l’unisson de la quasi-totalité des sociétés de journalistes des grands médias généralistes de tous bords (de l’Humanité au Figaro, en passant par Libération, M6, France Info ou encore Les Échos…), nous demandons le retrait immédiat et définitif de l’article 24 et de toutes les velléités liberticides qu’il contient.
Déchéance du « pays des droits de l’Homme » ?
Comment la France pourrait-elle être crédible au niveau européen et international lorsqu’elle emploie de telles pratiques ? Les dérives constantes en Russie, Hongrie ou Turquie, ou même dans les comportements de Trump, nous viennent en tête et, ce n’est clairement pas le modèle de société, démocratique, que nous souhaitons défendre.
Heureusement, l’Union européenne regarde avec soin ce que font les États en période de Covid et il est fort probable que le cas français soit scruté de plus près, notamment au Parlement européen, au vu de tous ces éléments… Quel mauvais « exemple » pour la France qui occupera la présidence tournante du Conseil de l’Union dès janvier 2022 !
La France n’est pas démunie pour faire face aux attaques terroristes ou à cette pandémie. Il faut arrêter cette fuite en avant législative qui verse dans une course à l’échalote soi-disant plus sécuritaire à chaque fois qu’une tragédie survient. Une bonne mise en œuvre et l’application des textes en vigueur, un personnel suffisant et formé et ayant les moyens de les mettre en œuvre aiderait beaucoup plus. Policiers, gendarmes, personnel dédié à la Justice (dans laquelle la France investit trop peu), renseignements, moyens éducatifs et de prévention…
Ce n’est pas l’avalanche de « cavaliers législatifs » et autres textes improvisés qui changera le besoin urgent de nouveaux personnels formés et de moyens, loin des mesures démagogiques et liberticides.